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Élodie Picard a rencontré et épousé son mari Paul en France, mais la carrière de ce dernier pour l’armée Française, puis avec des organisations internationales de maintien de la paix, les ont menés aux États-Unis, au Tajikistan et maintenant en Autriche. Élodie et ses enfants ont souvent été séparés de Paul tandis qu’il voyageait dans d’autres pays, parfois à passer des mois dans des régions en conflit. En élevant trois enfants dans plusieurs pays et dans des circonstances uniques, Élodie a appris à tenir sa famille près d’elle et à dépendre du Seigneur dans des moments de séparation, d’isolation, de maladie, et de danger.

Ta famille a habité dans des parties du monde très différentes, avec le travail de ton mari. Où habitez-vous actuellement ?

On habite à Vienne en Autriche depuis maintenant trois ans, Paul travaille pour l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) depuis 2009. Avant l’Autriche on était au Tadjikistan pendant trois ans et demie et maintenant l’Autriche.

Parlons-en justement des années au Tadjikistan, c’était comment d’être membre de l’église là-bas, comment est-ce que toi tu as vécu et enseigné l’évangile dans ton foyer ? Si je comprends bien, le christianisme est une minorité là-bas.

Oui, c’est majoritairement musulman, l’église n’était pas reconnue ni légale, donc on n’avait pas le droit de faire de prosélytisme, même auprès de la communauté internationale, on n’avait pas le droit même de donner un livre de mormon. Si les gens étaient intéressés parce qu’ils voyaient qu’on était un petit peu différents — à chaque fête à l’ambassade on ne buvait pas, donc rapidement ça amène des questions — si jamais il y en avait qui étaient intéressés il fallait qu’on leur dise qu’une fois qu’ils étaient de retour dans leur pays d’origine ils pouvaient contacter les missionnaires. Donc les réunions de l’église on les faisait chez nous dans notre salon, avec fenêtres fermées pour pas que ça s’entende, cantiques ou prières, parce qu’on a été bien prévenus par les avocats de l’église qu’ils ne veulent pas, quand ça sera possible d’ouvrir l’Église dans ces pays-là puisqu’ils sont encore fermés, qu’il y ait des antécédents de gens qui n’ont pas respecté la loi qui étaient membres.

Donc la loi c’est qu’on ne peut pas pratiquer d’autre religion ou juste qu’on ne doit pas la montrer?

Il y a une église chrétienne sans dénomination qui pouvait se réunir, mais notre église à nous n’était pas reconnue ou inscrite ou légale, donc légalement on n’avait pas le droit de faire nos propres réunions. Donc c’était la famille. Alors ensuite, on a eu des gens qui venaient, des étudiants qui venaient parfois pour étudier le farsi (qui est la langue de l’Iran, et comme c’était des américains ils pouvaient pas aller en Iran, c’était délicat, donc ils venaient eu Tadjikistan étudier le farsi tadjik, qui est très similaire au farsi), donc ils venaient chez nous. Alors officiellement, on les invitait à déjeuner — et c’est ce qu’on faisait, on faisait nos réunions et puis ils restaient déjeuner ; voilà.

Ensuite les tous derniers mois qu’on a eus, c’était d’ailleurs un vrai miracle, parce que nos enfants se plaignaient qu’ils n’y avait jamais d’autres enfants, et Eva (l’ainée) a prié toujours qu’il y ait une autre famille de membres qui vienne avec des enfants – ce pour quoi il y avait très peu de chances – et les dernières semaines il y a une famille américaine qui est arrivée avec quatre enfants ! Donc ça a été la grosse joie, d’ailleurs c’est la première fois qu’on a dû acheter des chaussures du dimanche puisqu’on n’en mettait jamais ! Mais là un dimanche sur deux on allait chez eux et puis ils venaient chez nous.

On faisait juste la primaire, les cantiques — j’étais présidente de primaire, et mon mari était directeur de musique — et ensuite on avait la sainte cène et on faisait un discours, soit Paul soit moi. Tous les dimanches. Alors quand on avait un étudiant qui venait on lui demandait « tu veux faire un discours ?! » (rires) On a fait ça pendant trois ans et demie. Et quand on est revenus en Europe, notre premier dimanche était à Vienne avec cet énorme orgue, et quand ils ont commencé à jouer de l’orgue et que toutes ces voix se sont unies, on a commencé à pleurer d’émotion, parce qu’avant on chantait à capella, avec trois petites voix d’enfants et deux voix d’adultes, donc c’était une belle expérience.

On a eu de belles expériences. Pour les baptêmes c’est pareil, on avait notre fils qui a eu huit ans là-bas, et il a dû attendre d’être de retour en France pour pouvoir se faire baptiser, puisqu’on ne pouvait pas le faire là-bas.

Et comment est-ce que tu as vécu ce séjour, toi ? Est-ce que tu parlais un peu la langue, est-ce que vous étiez avec d’autres étrangers ? Comment ça marchait du jour au jour ?

Alors moi je me débrouillais suffisamment pour être polie, pour acheter, pour faire des choses. Certains de mes voisins tadjiks – notamment la maison dans laquelle on habitait c’était une maison mitoyenne avec celle de notre propriétaire, qui était donc tadjik, et qui vivait avec sa femme, deux de ses enfants et leurs propres familles, là-bas c’est tout le monde vit sous le même toit — et donc ils parlaient anglais eux, plus ou moins.

Alors je ne me rapprochais pas trop de la communauté internationale tout simplement parce qu’avec Paul pour son travail, quand il y avait des réceptions etc. j’y allais, mais de moi-même j’étais un peu différente des autres femmes, qui généralement étaient des personnes qui travaillent, qui ont une cuisinière, une femme de ménage, une baby-sitter à plein temps, donc j’étais déjà un peu différente en tant que mère au foyer, je faisais l’école à la maison, mes enfants n’allaient pas à l’école internationale… donc ça faisait beaucoup de choses qui faisaient qu’elles nous regardaient une peu comme un oiseau bizarre, donc dans la communauté internationale j’avais pas vraiment beaucoup d’amis.

Par contre avec les locaux oui. J’étais dehors avec les enfants, les autres femmes aussi, donc les enfants jouaient ensemble, eux parlent un mix tadjik-russe, comme les enfants locaux là-bas, donc j’étais plus proche je dirais de la communauté locale qu’internationale ; et puis c’était aussi voulu. Je préfère quand je suis à l’étranger me mêler avec les gens locaux que de me mêler avec les étrangers.

C’était aussi délicat parce que leur situation était particulière ; c’est un peuple très pauvre, et donc il fallait que je sois proche sans être trop proche. Parce que on n’a pas les mêmes moyens financiers et ça peut rapidement créer des conflits. Alors on aidait souvent, mais de façon anonyme, pour que les gens ne soient pas constamment devant notre porte à demander. Ce qui a été ma première erreur dans la première maison qu’on a louée : j’avais donné à des gens, et toute la journée ça avait sonné pour que je donne à manger, quelque chose. Alors tu peux, mais tu ne peux pas tout le temps ! Donc Paul m’a bien prévenue, de toute façon on déménageait ça tombait bien, et il m’a dit : « tu ne donnes jamais rien depuis chez toi. Quand tu es dans la rue que les gens ne savent pas qui tu es où tu habites tu peux, sois généreuse, mais chez toi tu ne peux pas. »

J’imagine qu’il y a eu des échanges assez insolites de choc de culture aussi, je me souviens particulièrement d’un épisode avec une chèvre pour un festival…

Ah oui, le mouton… c’était pour la naissance du petit-fils de notre propriétaire, là-bas c’est la coutume de quand l’enfant a vécu un mois, et puis quand il a vécu un an – parce qu’il y a beaucoup de morts en bas-âge – tu remercies Dieu en tuant un mouton de la façon traditionnelle qu’ils font là-bas, c’est-à-dire on le vide de son sang complètement, ensuite on sort les entrailles, il y a tout un processus, on suspend l’animal par les pattes… C’était l’anniversaire de notre aînée, et ils aiment beaucoup les animaux les enfants, alors ils entendent le mouton dans notre jardin (puisque c’était un jardin qu’on avait en commun et les maisons qui étaient face à face), les enfants qui étaient tous contents, « oh maman il y a un mouton, il y a un mouton ! », ils étaient fous de joie. Et là, je vois le propriétaire s’approcher avec son fils et un énorme couteau, et j’ai tout de suite compris, j’ai dit aux enfants :
– « On s’éloigne de la fenêtre
– oh non maman ! »
Et on commence à entendre les cris de l’animal qui se débat… ils ont suspendu l’animal par les pattes de derrière et ils l’ont égorgé. Il y avait du sang partout dans le jardin, et puis ils l’ont vidé, préparé la viande, et ils l’ont cuit et ils ont partagé ce repas avec nous.

Ça a été une expérience un peu particulière ! Tu sais nous dans notre culture on est très aseptisés sur tout ce qui est viande au supermarché : c’est tout découpé. Là ils ont vu littéralement l’agneau éventré dans la cour, il avait les yeux ouverts, la langue pendante, c’était marquant. Mais Jérôme, notre fils, ça ne lui a pas fait grand-chose. Il a dit : « ah ben il est mort. » Lynn qui était toute petite a été très curieuse, et Eva a été très fâchée, très triste, elle a dit : « je ne parlerai plus jamais aux voisins, je ne leur pardonnerai jamais », mais quand ils ont amené l’assiette de viande, ça a été la première à la manger ! (rires)

Culturellement c’était particulier. Il fallait qu’on fasse attention aussi que je ne donne pas trop trop de conseils non plus, dans le sens où ils vivent non seulement d’une manière simple mais aussi un peu comme dans une autre époque. Quand il y a eu une éclipse de lune, ils ont commencé tous à crier, chanter, en disant que le diable avait emporté la lune. Il fallait chasser les démons pour que la lune réapparaisse. Et donc c’était assez impressionnant, parce qu’il y avait plus de lune et d’un seul coup on entend tout le monde qui tape leurs casseroles avec de grosses cuillères, qui crie et qui chante en regardant vers le ciel, ils sont toujours un peu pleins de superstition. Moi je voulais leur expliquer qu’elle allait réapparaitre, il fallait juste attendre quelques minutes ! Mais quand la lune a réapparu tout le monde a fait : « ah, loué soit Dieu », ils ont commencé à faire toutes leurs prières. Donc c’était un peu comme si on vivait dans une autre époque.

J’imagine qu’il y a eu des difficultés, mais aussi des moments d’apprentissage de vivre l’évangile, d’être proche du Seigneur quand il y a juste sa famille et on n’a pas l’Église, on est entouré de personnes qui n’ont pas forcément les mêmes croyances… Comment est-ce que tu l’as vécu ça ?

D’abord, ça m’a permis de connaître beaucoup d’autres fois, et de voir qu’il y avait des gens qui vivaient leur foi d’une façon très belle et très saine, et vraiment que j’admirais beaucoup. J’ai rencontré des chrétiens qui avaient tout quitté pour venir dans ce pays pour amener le christianisme et enseigner le Christ, et ils servaient d’une façon très belle. Il y avait une famille américaine, lui était ophtalmologue et il aurait pu bien gagner sa vie aux États-Unis mais il est venu ici, ils vivaient vraiment d’une façon pauvre et il enseignait gratuitement l’ophtalmologie dans ce pays-là, et il enseignait à qui voulait bien l’entendre la bible et le Christ. Et j’ai rencontré bien sûr des musulmans qui étaient très croyants et qui vivaient leur religion d’une façon qui finalement est très similaire à la nôtre. Ils étaient tournés vers les autres, vers le service, ils honoraient Dieu, et en fait on a beaucoup de points en commun – ce qu’ils appréciaient aussi. Donc on échangeait, ils faisaient le ramadan et nous on faisait le jour de jeûne et puis on en parlait, Paul a fait le ramadan pendant un mois aussi ! Donc je veux dire il y avait toute une expérience qui était riche.

Au niveau de la famille, ça nous a fait du bien en fait puisqu’avant, Paul était souvent parti en mission pour l’armée, donc de faire en sorte qu’il n’y avait que notre petite cellule familiale pendant tous ces mois d’affilée, ça a vraiment resserré nos liens je trouve. Et puis les enfants ont vraiment pu grandir en écoutant leurs parents rendre témoignage régulièrement au moins toutes les semaines ! (rires)

Au niveau de la foi, ce qui me manquait, et je ne m’en rendais pas compte avant, c’était les sœurs visiteuses, les instructeurs au foyer ; le fait que parfois on puisse échanger, compter les uns sur les autres. Pendant l’hiver Paul partait parfois plusieurs semaines en pleine montagne et il ne pouvait pas revenir à la maison puisque c’était loin de là où on était, dans ce cas-là il n’y a plus de prêtrise et il n’y a plus de sainte-cène. Et donc je faisais la primaire, je faisais un discours, et c’était fini. Et sans la sainte-cène, je sentais vraiment combien ce n’était pas un dimanche complet. C’est pour ça que le dimanche dans cette église c’est pour prendre cette sainte-cène, c’est le moment le plus sacré, le plus solennel et le plus important de ce jour de sabbat. Et quand je n’avais pas la sainte-cène, au bout de trois semaines un mois, c’était vraiment dur. Je sentais que j’avais besoin de ce renouvellement très particulier. Et ça, je ne l’avais jamais senti avant de ne pas l’avoir.

Maintenant vous vivez en Autriche et le mode de vie est très différent évidemment. Quelles sont quelques-unes des joies et des difficultés de vivre perpétuellement à l’étranger ?



La vie au Tadjikistan c’était une vie très simple. Il n’y avait pas d’activités extra-scolaires un peu partout, même la capitale c’est une ville tranquille et petite, et on vivait vraiment aussi au rythme des saisons. C’est-à-dire, dans les pays développés on oublie ce que c’est l’hiver, l’automne, le printemps, l’été… là-bas, automne et hiver, il n’y avait plus rien dans les magasins, plus rien dans les marchés, et quand le printemps arrive et que tu retrouves tous ces légumes et tous ces fruits qui sortent de terre il y a une véritable joie. Notre premier hiver, moi je ne savais pas qu’il n’y aurait rien ! On a survécu avec patates, carottes et oignions, qui se gardent dans les caves pendant longtemps, donc que tu peux trouver au marché encore tout le long de l’hiver, mais c’est tout. Alors au bout de trois mois comme ça, la joie quand on est allés au marché et qu’on a vu des concombres, des tomates, des herbes… les enfants criaient littéralement de joie ! Après, les patates, les carottes et les oignions, on les a plus vu pendant six mois ! (rires) Fini ! Et puis là-bas quand c’est l’hiver, il fait froid. Tu ne peux pas te chauffer correctement, l’électricité coupe constamment donc le chauffage ne marche pas… Vraiment, tu es en mode survie, tu attends les premières chaleurs et les premières plantes. C’est une expérience qui est belle à vivre dans le sens que tu vis vraiment je pense comme vivaient les gens autrefois en cycle avec la nature. Et ça te permet d’apprécier un peu tout ça qu’on oublie nous dans notre culture.

Après ce que j’apprécie ici bien sûr c’est l’eau potable au robinet – ça facilite la vie ! – d’ailleurs l’une des premières choses qu’on a faites ici c’est de prendre une douche en ouvrant la bouche ! (rires) Après, j’apprécie évidemment qu’il y ait l’Église. C’est important pour nous, j’apprécie de pouvoir servir dans l’Église, ça me manquait de pouvoir faire ça. Pour les enfants j’apprécie tout ce qu’on peut offrir ici avec les activités extra-scolaires, les musées, la piscine, la bibliothèque, toutes les choses qu’on n’avait pas là-bas.

Mais les enfants, tu sais, ils disent régulièrement qu’ils aimeraient bien repartir au Tadjikistan, ils aimaient bien. Tous les dimanches on faisait notre aventure du dimanche, donc après les réunions on prenait le 4×4 et on partait. A dix minutes du centre-ville tu es en pleine montagne ! donc on roulait, on allait sur le sommet des montagnes, on s’arrêtait, et on laissait les enfants courir. Ils couraient après les chevaux en liberté, les moutons en liberté, les sauterelles… quand c’était de la neige ils roulaient jusqu’en bas, ils étaient très proches du naturel, ce qui était agréable. Après en tant qu’enfants, pour eux c’était le paradis ; en tant qu’adulte il y a tous les soucis de comment je vais les nourrir, quand est-ce que je vais enfin avoir de l’électricité pour faire tourner les machines, houlà j’ai presque plus d’eau potable il va falloir que je trouve moyen d’en avoir… tous les petits détails.

Comment est-ce que toutes ces expériences que tu as eues avec différents peuples — et que tu continues d’avoir — t’influencent toi et aussi ta relation avec Père Céleste, ainsi que ton sens de ta valeur personnelle ? Je sais que tu as dû faire des sacrifices pour la carrière de ton mari qui n’ont pas toujours été faciles, il y a eu des fois où il était parti, où il y avait du risque et peu de communication.

Oui, l’an dernier il a été pendant un an en Russie à la frontière avec l’Ukraine et en face c’était les rebelles ! Et il est revenu là en juillet, il est parti quinze mois. Et là, on n’a pas pu le suivre parce que c’était dangereux. Mais comment je vis tout ça ? D’abord je trouve que c’est très enrichissant. Ça fait seize ans qu’on est mariés, et on a vécu un an en France sur ces seize ans. Moi ce que j’apprécie c’est que je pense qu’on est très ouverts d’esprit, après toutes ces rencontres de culture et de façons de faire, de façons d’élever, d’éduquer en tant que maman – de voir les différences entre les tadjiks ou les autrichiens ou les américains ou les français… Finalement, avec le temps tu te rends compte qu’on veut tous la même chose. On veut vivre en liberté, on veut que notre famille ait des opportunités et soit en bonne santé, et soit heureuse. Dans toutes les cultures, les religions, les peuples, c’est toujours la même chose. Alors après, il y a des façons d’y arriver qui sont différentes. Dans certaines cultures, avoir un bon travail et un bon salaire c’est ça qui compte parce que c’est ce qu’ils pensent permettre le bonheur et l’opportunité pour leur famille, dans d’autres cultures l’argent, le travail, ce n’est pas aussi important, ce qui est important c’est la santé, avoir assez à manger, avoir un toit sur la tête.

En tant que fille de Dieu, c’est vraiment ça que j’ai ressenti, c’est que Dieu ne fait pas de différence entre les peuples. Il aime et bénit chacun de ses peuples et ta relation avec ton Père Céleste peut être différente selon que tu es musulmane ou chrétienne, ou même il y a des personnes qui ne croient pas en Dieu, et pourtant je sais qu’il est là et qu’il les aide et qu’il les écoute et qu’il sait ce qu’elles traversent.

C’est beau à voir, et j’ai vraiment appris à accepter, je pense, la vérité et le bien partout d’où ils viennent. Je n’ai pas cette notion de : « ah je suis membre de l’Église, de la vraie église de Jésus-Christ, donc je sais mieux ou peut-être plus que les autres, » pas du tout. Pour moi c’est vraiment au contraire, j’apprends beaucoup des autres et de leur façon de faire. Bon il y a des choses que je me dis : « ça jamais ! » (rires) et il y en d’autres je me dis : « ça c’est bien ! » et j’essaie d’ajouter un peu ça à ma façon de faire et mes enfants aussi ! Mes enfants ont une belle richesse, je vois qu’ils ont déjà grandi sur trois continents différents, et ils ont plusieurs langues avec lesquelles ils communiquent. Peu importe dans quel parc de jeux je les emmène, ils se font toujours des amis – qu’ils parlent ou pas la langue, ça y va ! Et je sais aussi qu’ils sont bien moins rapides à juger. Jérôme me dit régulièrement : « tu sais maman, on sait pas comment ils sont éduqués, on sait pas, faut pas juger. » Il sait que pour certaines personnes, ça c’est normal, ça ça se dit, ça ça se fait, ça ça se fait pas.

Après, en tant que maman c’est un peu dur aussi parce que les choses qu’ils reproduisent que moi je sais que dans notre culture française ou européenne ça passera moins bien, donc j’essaie de les élever à la française tout en ne vivant jamais en France, donc c’est pas toujours gagné ! Par exemple au Tadjikistan, ils avaient appris à cracher n’importe quand à tout va parce que là-bas tout le monde crache et c’est normal – dans la rue, tout le temps ! Et je leur disais : « non, on peut pas cracher, on repart en Europe on peut pas cracher comme ça ! » C’était une gêne ! Bon, c’est pas des choses qui sont essentielles à leur salut, mais… (rires) c’est ce que je me dis.

Je sais que tu as eu des grossesses difficiles, parfois où tu ne pouvais pas avoir Paul à tes côtés, et je me souviens il y a longtemps que tu m’avais dit que tu avais trouvé que c’était une expérience très spirituelle, que tu avais dû t’accrocher plus au Père Céleste. Il me semble que ça s’applique finalement à beaucoup d’expériences que tu as eues avec ta famille.

Père Céleste, en fait, je pense qu’il intervient dans notre vie quand il doit intervenir. Mais certaines fois, il n’interviendra pas parce qu’il y a d’autres solutions. Si par exemple, médicalement, je peux recevoir les soins dont j’ai besoin dans le pays où je suis, je dois aller rechercher ces soins-là. Si je suis à l’étranger, que je n’ai accès à aucun soin pour ce que j’ai, ce qui m’est arrivé, c’est vraiment la foi et le miracle de la prêtrise qui nous ont sauvés – plus d’une fois. Et ça, je l’ai vraiment remarqué et ressenti, c’est que le Seigneur et Père Céleste, ils veulent nous aider. Mais ils veulent aussi qu’on fasse notre part. Alors si notre part dans notre pays où c’est possible, c’est d’aller consulter et de se faire soigner, il ne va pas faire un miracle de la prêtrise dans ce sens-là, où ce n’est pas forcément nécessaire. Plusieurs fois, pour moi il n’y a aucun doute qu’il était vraiment présent, et qu’il savait que c’était lui ou c’était rien d’autre.

Et c’est pour ça qu’il y a eu certaines personne quand on a décidé de partir au Tadjikistan et accepter ce travail, me disaient : « tu peux pas, tu as de jeunes enfants ! » J’étais partie avec un bébé de deux mois qui était une prématurée, et puis les autres tous petits. Et les gens me disaient : « comment tu vas faire ? » et moi je suis vraiment partie avec l’assurance qu’on avait prié, qu’on avait ressenti que c’était ce qu’il fallait qu’on fasse, et que je savais qu’il nous aiderait. Et effectivement, parce que c’était quand on était au Tadjikistan, on est repartis en vacances en métropole pour quelques semaines, et c’est au cours de ces semaines-là qu’on a découvert que j’avais un cancer la thyroïde. Et ça s’est fait pile au moment où ça devait se faire. Si j’avais été au Tadjikistan, je n’aurais pas pu découvrir ce qui se passait, j’aurais pas pu comprendre, analyser, faire la biopsie et ainsi de suite.

Et là, avec Paul qui est parti l’an dernier en Russie, c’était la même chose ; on s’est mis tous les deux à genoux et on a senti qu’il devait accepter ce travail, que ça serait bien pour nous, pour lui, et qu’il serait béni et protégé. Donc on fait toujours ça, et moi je pars toujours avec le sentiment que, ben puisque le Seigneur est d’accord, je pars avec le sentiment de beaucoup d’amour de foi et de paix, parce que même s’il y a quelque chose de mal qui se passe, c’est que c’est sa volonté. Du moment que j’ai cette assurance, on le fait, et à chaque fois ça a été ça. Il est parti plusieurs fois en Afghanistan, il est parti au Kosovo, et là il était avec la crise en Ukraine, donc ça a toujours été fait avec beaucoup de prière. Et une fois qu’il est parti, je ne m’inquiète pas. Je m’inquiète que s’il m’appelle et qu’il me dit : « il faut que tu t’inquiètes ! » (rires) C’est arrivé deux fois, et quand c’est comme ça je reste à genoux toute la nuit, jusqu’à ce qu’il me rappelle le lendemain pour me dire que c’est bon. Et c’est comme ça qu’on surmonte tout ça.

Alors évidemment, quand on est un couple séparé, c’est vraiment là que tu découvres – tu sais dans l’Église, on dit toujours que dans le mariage il y a le mari, la femme et le Seigneur, le triangle avec le Seigneur en haut – je crois que quand on est séparés comme ça c’est vraiment là qu’on ressent qu’on est vraiment trois, qu’on n’est pas que deux. Et ma relation avec Père Céleste et mon Sauveur est forcément plus intime et plus forte quand je suis séparée de Paul. Je crois que quand Paul est là, j’ai déjà mon soutien, mon meilleur ami, celui qui me comprend… Quand il n’est plus là et que je ne peux pas l’avoir constamment, je me tourne plus vers mon Dieu, mon Sauver, et mes prières sont toujours plus riches et abondantes.

At A Glance


Nom:
Élodie Picard

Age:
35

Lieu de domicile:
Vienne, Autriche

Situation familiale:
Mariée

Enfants:
3 enfants

Métier:
Mère au foyer, enseignement au foyer

Convertie à l’église?:
Née dans l’église

Éducation:
License de Psychologie à Victor Ségalen Bordeaux

Langues parlées au foyer:
Français

Interview produite par Lydia Defranchi